L’Ergot

POULET* POUR UNE VOLAILLE

Beau palmarès pour nos Bressans de l’année, non ? Bravo Mélissa et Charlène, nous ne pouvions faire moins que de vous honorer, vous dont le nom résonne déjà en France et au-delà. Et bravo encore à tous les lauréats, Coups de Cœur ou Bressans d’Honneur qu’il serait trop long de citer tous ici mais que vous retrouverez sur notre site.

– Ben, c’est bien gentil tout ça, mais moi alors ?
– Qui me parle séant ?
– Oh, ça fait des manières, ça néglige la basse-cour parce que ça évolue dans le beau monde ?
– Ah c’est toi, ma poule ?
– Les familiarités maintenant ? Tu me prends pour qui ?
– Te vexe pas ! Excuse-moi, là. Ça te va ?
– J’accepte. Mais j’aimerais que tu reconnaisses mes mérites. Je ne suis pas le Bressan de l’année, mais pas le perdreau non plus. Je sais voir quand on me snobe.
– Bien, tu veux quoi ?
– Une place de choix dans le cœur des Bressans. Pour qu’ils ne m’oublient pas.
– Je peux déjà te garantir une place de choix dans leur assiette…
– C’est malin ! Je ne veux pas faire mon gallinacé arrogant, mais je suis quand même AOC depuis 65 ans tout juste. Et AOP européen, excusez du peu ! Y’en a pas d’autre de mon espèce sur le podium.
– Je te donnerais bien une médaille mais je crois que tu en as obtenu suffisamment, non ?
– J’ai eu mon content d’honneurs et de Glorieuses. Et je n’en suis pas peu fier. Mais si je t’interpelle, c’est que j’ai les jetons. Oui, la chair de poule. Je te l’enlève de la bouche. Ça t’évitera la honte d’une plaisanterie facile.
– Je n’y avais même pas songé.
– C’est ça. À d’autres. Bref. Je crois que je suis en danger.
– Pourquoi tu dis ça ?
– Tu sais que n’importe qui ne peut pas prétendre à m’élever. Il me faut des conditions de vie bien particulières pour m’assurer une croissance idéale, une chair goûteuse tendre et ferme que les gourmets voudront s’offrir pour un repas de fête. Et on me dit qu’ils sont de moins en moins nombreux, les éleveurs en question.
– Pourquoi, à ton avis ? Ton mauvais caractère ?
– Continue à te foutre de moi. Non, je ne sais pas trop. Les aliments, l’espace, la main d’œuvre, ça coûte cher. Et il faut pouvoir me vendre au bon prix. Toute l’année. Pas seulement à Noël.
– Et même à Noël, tu es quelquefois supplanté par une dinde !
– Tu as vu mes cuisses fines et musclées ? Tu préfères celles d’une dinde ?
– Non, c’est vrai, tes cuisses, on en mangerait !
– Attends un peu. Je ne suis pas encore prêt au sacrifice, même si je suis conscient de mon destin.
– J’ai bien compris tes craintes, mais que veux-tu que j’y fasse ?
– J’ai cru comprendre que l’Académie s’occupait des talents de notre beau pays de Bresse, non ?
– Oui. Où veux-tu en venir ?
– Si elle s’occupait de moi ?
– Tu veux qu’on t’adopte ?
– Non, pas besoin de chaperon pour un chapon. Tu vois, moi aussi, je peux faire des blagues à deux balles. Si vous pouviez jouer les aiguillons auprès de tous ceux qui s’occupent de moi, ça serait sympa !
– Précise ta pensée.
– Par exemple, réunir les gens de la filière pour envisager l’avenir ensemble. Ceux qui me nourrissent, ceux qui me transforment, ceux qui me vendent, ceux qui me consomment. Je ne veux pas disparaître. On s’occupe bien des éléphants et des baleines ! C’est fantastique de symboliser la Bresse, mais je ne veux pas devenir ce qu’est le dodo pour l’île Maurice. Une figurine sympathique et nostalgique pour touristes de passage.
– Avant que tu ne me voles dans les plumes – excuse-moi, je n’ai pas pu résister -, je peux t’assurer que ton sort ne nous est pas indifférent. On va voir ce qu’on peut faire. Je ne te garantis rien d’autre que notre bonne volonté.
– C’est déjà pas mal. Le poulet, c’est ce qui vient à l’esprit de la plupart des gens quand on leur parle de la Bresse. Qui imaginerait Montélimar sans le nougat, Castelnaudary sans le cassoulet, l’Alsace sans la choucroute ?
– Tu as raison, ma cocotte. Je n’imagine pas la Bresse sans toi !
– Alors, bougez-vous le croupion. Sinon, pas la peine de pleurer le jour où l’un de vous mangera la dernière aile ou l’ultime cuisse du dernier des Mohicans avicoles !

*Poulet : mot ancien pour désigner un billet doux (expression pas toute neuve non plus !)